C'est une splendide journée qui s'annonce, le soleil brille et les oiseaux chantent. Merveilleux. J'ai vaguement envie de tuer quelqu'un.

Je me redressai en grimaçant à cause d'un mal de dos passager. Voilà ce qui arrive quand on reste trop longtemps penché, haha. Pas ma faute si je suis obligée de me casser en deux pour remplir ma valise, j'ai pas demandé à être aussi grande, merde.

Au moins, j'ai enfin terminé, c'était pas trop tôt. Ça m'a pris la moitié de la matinée, sérieux, j'avais tant d'affaires que ça ? Enfin, tout tient dans une imposante valise, exception faite de mon étui à guitare, évidemment. Je fis une dernière fois le tour de la chambre. Mon ancienne colocataire s'était fait renvoyer – elle avait des notes encore pire que les miennes, incroyable, une vraie force de la nature, cette fille – et la direction m'avait délicatement priée d'empaqueter mes effets personnels pour rejoindre la chambre d'une charmante demoiselle qui, elle aussi, était fortuitement seule dans sa chambre.

Autrement dit, l'administration m'avait ordonné de bouger mes fesses pour déplacer tout mon barda chez quelqu'un d'autre histoire de me forcer à me socialiser encore un peu. Bordel de merde. Ça m'énerve, ça, de forcer les gens à parler les uns aux autres. Oh, vous pourriez pas juste me laisser toute seule dans mon coin ? J'aime pas les gens. J'ai juste besoin de ma guitare. C'est trop demander ?

C'est ça le problème avec les gens sociables, ils ne comprennent pas qu'on puisse ne pas aimer se socialiser. LAISSEZ-MOI DANS MON COIN, JE NE VOUS AIME PAS.

Bon allez, c'est parti. J'enfilai la sangle de mon étui à guitare, saisis la poignée de ma valise à roulettes dans une main, mon ampli dans l'autre, et quittai mon ancienne chambre pour une autre qui serait parfaitement identique. Et pourquoi ce serait à moi de déménager, d'abord ? Parce que je suis une élève à problèmes ? Si ça se trouve, je vais devoir me taper une première de classe snob absolument insupportable qui me harcèlera pour que je bosse. Non. Tout mais pas ça. Enfin, j'ai évité les écoles de bourge remplies de péteuses (merci papa), mais ça reste ma hantise.

Et ô surprise, la chambre était effectivement identique à la précédente. Deux lits, deux armoires, deux bureaux, le rêve quoi. Ouf, personne. Pas besoin d'interagir avec un gens. Wait, c'est normal si j'ai pas de couette ? Suuuper, les emmerdes commencent. A tous les coups je suis tombée sur une débile qui a décidé de me faire chier. Harcèlement ? Pas de problème. Prépare-toi à souffrir, ma petite.

J'appuyai mon étui sur le mur et me laissai tomber sur le lit. J'en ai marre. Je veux me barrer. Comment a-t-il pu avoir l'idée de me parquer ici ? Je déteste coudre et apprendre les bonnes manières. J'envisage pas de devenir une exemplaire mère de famille, bordel.

Oh mais j'y pense. Y avait quelqu'un ici avant ? Je veux dire, en plus de ma future (nouvelle ?) colocataire. Avec un peu de malchance elle a laissé des tas de trucs dégueu. Oh non. Je me dressai et commençai à fébrilement vérifier la propreté de la pièce. Impeccable. Pas une trace de poussière. Oh non, je suis tombée sur une maniaque. Elle a tout nettoyé et me considère comme redevable à son égard. Oh merde. Merde merde merde.

Je sursautai en entendant la porte s'ouvrir. Merde, la voilà. Je fais quoi. Je fais quoi ?!

« Bonjour. J'imagine que c'est avec toi que je vais partager ma chambre ! »

Okay, deux possibilités. Soit cette petite fille (elle a vraiment 16 ans ?!) est une tarée qui cache bien son jeu, soit elle est vraiment la gentille colocataire qu'elle a l'air d'être. Je déteste les gens gentils, parce qu'ils me font culpabiliser de les détester, et j'aime pas ça. Greuh. Elle est mignonne, avec de longs, longs, longs cheveux noirs et de graaands yeux bleus. Métisse, je suppose. Wow, qu'est-ce qu'elle... Oh. En fait c'est elle qui avait ma couette, et elle est précisément en train de... faire mon lit. Genre. E-Elle fait mon lit, là. Je dois avoir l'air très stupide à la regarder les bras ballants. Okay, même la grande parano que je suis commence à penser qu'elle est réellement gentille. Je suis pas dans la merde.

Sa besogne terminée (bordel mais arrête ça, tu vas te faire marcher dessus), elle s'installa sur son lit et me regarda. Wow. Elle a l'air contente. Sérieux, t'es vraiment heureuse de me rencontrer ? ... Oh non, elle aime les gens. Elle va vouloir me parler. Si ça se trouve elle lit des shoujo manga. Ou elle a des problèmes de cœur à deux balles et va m'en parler tout le temps. Ça va être horrible. Je vais mourir.

« Je suis Amakusa Hikari, de la classe B. J'espère que nous nous entendrons bien. »

Je la fixai d'un air neutre. Genre elle s'appelle Hikari. C'est trop cliché, c'est pas possible. Une fille mignonne et gentille qui s'appelle Hikari. Remarque, j'ai un caractère de merde et des caractères de merde (hohoho, mais c'est que j'ai de l'esprit maintenant), alors bon.

Bon. Je tente un sourire amical histoire de partir sur des bonnes bases ? ... Non.

« S'lut. M'appelle Chihaya Steinwald. La même. »

Haaaaaaaa, mais c'est pas possible, j'ai un accent dingue quand je prononce mon nom, j'avais oublié. Fuck it. Merde, j'aime pas quand on me regarde longtemps comme ça. Je détournai le regard pour le poser sur mon étui et réalisai qu'il risquait d'instaurer une légère tension entre ma colocataire et moi. Je te préviens, toi, là-bas, ma guitare est ma seule amie, alors d'une tu ne la remplaceras pas, jamais, et de deux, si tu essayes de nous écarter, tu vas prendre cher.

« Hum, au fait, je joue de la guitare, j'espère que ça te pose pas de problème ? »

J'espère pour toi. Je peux toujours jouer ailleurs mais ça va très vite me faire chier.

Ouh là.
Ouuuuuuuh là.
Je suis paaaaas dans la merde.

Tu pouvais pas être une connasse, hein ? Ça aurait été plus simple. J'aurais pu t'envoyer chier en te disant que non, tu t'étales pas là comme ça genre tout va bien, non, tu fais pas de réunion débile autour d'une tasse de thé – mais sérieux quoi – sauf que là, si je fais ça, je vais culpabiliser. Juste parce que t'es sympa et que t'as une bonne tête. RHA. J'aurais voulu être complètement une enfoirée et ne pas avoir de scrupules mais là, j'en aurai, c'est sûr. Cette couleur te va très bien. T'ÉTAIS PAS OBLIGÉE DE DIRE ÇA. ARRÊTE D'ÊTRE GENTILLE.

Je pris la tasse qu'elle me tendait avec un temps de retard et contemplai le liquide brûlant d'un air probablement assez stupide. M'apprêtant à lui dire que ce n'était pas la peine, je relevai le menton, la regardai à son tour, ne trouvai rien à dire et retournai à mon thé. Approchant la tasse de mes lèvres, je bus à petites gorgées.

Bon. A la rigueur, si elle s'étale trop, je lui dis et l'affaire est réglée. Elle a pas l'air bien méchante alors ça devrait aller, et puis elle le dit elle-même. Ok. L'autre histoire est plus délicate à gérer. J'ai la vague sensation de trop exiger. Je dois déjà supporter tout cet internat rempli de filles plus bécasses les unes que les autres, faut vraiment que je sacrifie mes soirées aussi ? Je me suis sentie mourir intérieurement quand j'ai appris que je ne pouvais même pas écouter de la musique – de la musique, sérieux, c'est pas comme si j'allais me bourrer la gueule comme une débauchée – mais alors si je dois vraiment me taper une bande de gonzesses qui gloussent et parlent du garçon qui leur a dit bonjour la dernière fois qu'elles sont sorties, ça va pas être tenable. Je déteste tellement cet endroit. J'en ai marre. Je veux me barrer. VITE. Ou au moins trouver quelqu'un de supportable, et si la petite pourrait faire l'affaire, ses copines, certainement pas.

Malgré moi, je haussai les épaules après avoir posé ma tasse sur la table d'à côté.

« C'était surtout histoire d'emmerder mon père. Et la direction. Mais merci. »

Mouuuais, pas tout à fait non plus. C'était aussi histoire de faire un gros doigt à tous ces petits cons qui se sont foutus de mes yeux quand j'étais gosse. T'aimes pas mes yeux ? Ben t'es dans la merde, mes cheveux sont pareils. Dans ta face. Oui, c'est puéril, mais ça fait du bien. J'aime être puérile. Et emmerdante. On s'auto-satisfait comme on peut.

« Et t'inquiète pas pour tes potes, j'irai ailleurs avec ma guitare », ajoutai-je avec un nouveau haussement d'épaules. « Tant que tu me préviens tout va bien. »

Et puis de toute façon, elle a intérêt, sinon ce sont ses copines qui se cassent.

Je ne revins pas sur son commentaire sur ma guitare. J'allais lui dire quoi, que oui, j'étais excellente ? Ou jouer les fausses modestes et balayer son compliment d'un revers de main en disant que vraiment, j'étais trop nulle ? Je me débrouille, c'est vrai, et en général je m'attire des compliments, mais c'est toujours un peu voire carrément gênant. J'ai l'impression que les gens prennent trop à cœur ce que je fais alors que je le fais plus pour moi que pour les autres. C'est bizarre. Les gens sont bizarres. Je sirotai à nouveau mon thé. Pas mauvais. Et pas chimique dégueu comme d'habitude. Je me souviens encore du goût affreux qu'avait celui que les vieux achetaient en Allemagne. Aaaaah, j'en ai des frissons.

Bon. On fait quoi. J'ai pas spécialement envie de parler plus avant mais j'ai rien d'autre à faire. Au pire, si elle commence à blablater sur elle-même, je la regarde en faisant genre de l'écouter. Mais j'ai pas envie de parler de moi. Bon. Que fait-on. Machinalement, je rabattis en arrière mes cheveux et caressai doucement l'étui de ma guitare. Toi, je t'aime.