C'est la fin des vacances...

Après avoir passé quelques semaines chez sa famille, Tsubasa est de retour à Astrea. Elle a apprécié ses premiers mois dans son nouveau lycée et n'a pas regretté son choix, loin de là, mais un retour aux sources s'imposait malgré tout. Un changement si radical, au final, n'est pas si facile a gérer. Elle a donc pu profiter de l'été pour retrouver ses parents, eux aussi heureux de revoir leur fille unique dont le départ avait laissé un grand vide dans la maison familiale. Cela dit, plutôt que de céder à leurs émotions, ils optèrent pour la solution la plus judicieuse pour leur fille. En effet, ils l'encouragèrent à retourner plus tôt que prévu à l'internat d'une part, et à rejoindre une chambre occupée par une autre fille d'autre part. Après tout, la scolarité de Tsubasa représentait désormais un lourd investissement et il était hors de question de ne pas exploiter les avantages qu'offrait la colline d'Astrea.

Tsubasa reconnaissait que ses parents avaient raison. Au final, Astraea est une perle rare: un lieu où le temps s'arrête au coeur d'un monde où tout va si vite et qui devient de plus en plus global. Un havre de paix intact depuis des générations, où l'on peut toutefois  progresser et grandir en tant que jeune femme et future adulte. C'est l'impression qu'elle tirait de ses tous premiers mois à St Miatre.

Malheureusement, le revers de la médaille est là: le fossé avec sa vie quotidienne en ville était immense. Jamais elle n'aurait cru avoir autant de mal à gérer l'abscence de technologie. En réalité, ce ne fut qu'en arrivant à Astrea qu'elle réalisa à quel point la technologie l'entourait, tellement ses habitudes étaient ancrées en elle. Tsubasa échangeait des e-mails avec ses correspondantes, regardait des films étrangers en version originale, se filmait dans sa chambre lors de ses répétitions de théâtre en solitaire...

Sacrée mise à l'épreuve!

C'est ainsi que Tsubasa préfère voir les choses. Changer ses habitudes sera très difficile, mais mieux vaut lutter que rester à se lamenter sur son sort! Il faut être réaliste: être admise dans une telle académie, c'est une chance incroyable.

C'est donc bel et bien un nouveau départ. Et puis qui sait, ce sera sûrement plus facile à vivre en partageant sa chambre avec une camarade! Par défaut, Tsubasa s'était installée dans une chambre libre, choix motivé instinctivement par le fait d'être fille unique.

Tsubasa et Fusajirô-san s'étaient déjà croisées en période de cours,   mais n'ont pas vraiment eu le temps de faire connaissance. Comme elle, la fille aux cheveux roses n'était pas du genre à créer des liens en un claquement de doigts. Tsubasa voyait cependant qu'elle partagerait sa chambre avec une jeune fille intelligente, sérieuse et raffinée. Un soulagement, car c'était la seule chambre à ne pas être vide ou entièrement occupée, et elle ne voulait pas partager son quotidien avec une fille au caractère opposé au sien.

Les adieux à la famille furent difficiles mais c'est décidé: cette fois, on prend un nouveau départ, et tout se passera pour le mieux! Elle prit une inspiration, entra dans sa chambre, sac à dos à l'épaule et valise dans la main et sursauta tout d'un coup:

Fusajirô-san a bien été prévenue au moins?

Tsubasa, qui venait tout juste d'arriver de la gare d'Astrea, n'avait pas croisé sa nouvelle colocataire. Elle avait eu l'administraiton au téléphone, qui avait accepté ce changement sans toutefois évoquer l'avis de la jeune fille en question.

Elle observa la chambre. Tout est intact, on croirait presque voir une chambre inoccupée. Tout est organisé avec une grande précision. Décidément, les Miatroises sont vraiment des jeunes filles bien élevées.

Elle pose ses affaires sur le lit qui sera le sien et s'assoit.

Bien sûr qu'elle a été prévenue, Tsuu-chan, sois un peu logique.

Avant de l'oublier, elle sort de son sac le petit cadeau de remerciement qu'elle apporte à Misaki-san pour avoir accepté d'accueillir une nouvelle arrivante. C'était un petit cahier au motif renaissance, qui provenait d'une célèbre et ancienne papeterie italienne. Sa mère ayant fait une commande récemment, Tsubasa a sauté sur l'occasion. Elle avait néanmois eu du mal à savoir quoi offrir à une Miatroise si distinguée.

En attendant son arrivée, Tsubasa ôte ses chaussures et s'asseoit sur son lit et... s'assoupit. Le voyage avait été long et elle n'avait pas réalisé à quel point elle était fatiguée.

La cour de l'académie St Miatre est vide, et le soleil est à son Zénith. Tsubasa porte son uniforme et se dirige vers les salles de classe. On est en automne, les cours reprennent mais bizarrement, personne n'est là. Serait-elle en retard? Elle s'empresse d'ouvrir la porte d'une salle et aperçoit une fille assise à un bureau, entrain d'étudier. Elle est de dos, se tient droite et ses cheveux rose pâle paraissent fins, doux et brillants. Alors qu'elle cherche à atteindre la jeune fille, elle sent ses jambes s'alourdir et une lueur l'éblouir. Tsubasa sent qu'elle sort peu à peu de son sommeil, et ses paupières s'ouvrent. Tout redevient réel.

Allongée sur le dos, immobile, elle voit les formes se redessinner. Peu à peu, elle distingue la lampe accrochée au plafond. À sa droite, elle s'étonne de voir un mur à la place de sa table de nuit. Elle réalise qu'elle se trouve dans sa nouvelle chambre. Les souvenirs reveniennent, comme un enregistrement qui défile en accéléré dans son esprit. Le retour de vacances, la résidence Strawberry, le cadeau de Fusajirô-san... Fusajirô-san qui s'avère être également dans la chambre. Le coeur de Tsubasa s'emballe.

Déjà? Alors c'est comme ça que l'on va faire connaissance?

Ce n'était pas ce qu'elle avait prévu, ni imaginé. Mais elle était là, assise à son bureau, plongée dans un livre. Telle qu'elle l'avait entrevue dans ses brefs songes. Fusajirô-san paraissait absorbée, prise dans ce genre de lecture qui passionne et arrête le temps. Voilà un premier point commun: tirer profit de son temps libre pour s'abandonner aux trésors de la littérature ou tout simplement s'avancer sur ses devoirs (voire les deux à la fois, quand c'est possible). Même lorsque la plupart des gens préfèrent se défouler en plein air.

Tsubasa prit une grande inspiration et décida de se relever. Elle s'avança discrètement, cherchant ses mots et formulant des phrases dans sa tête, comme pour une répétition théâtrale. Ainsi, le regard de l'actrice en herbe sortit sa camarade de sa scéance de lecture. Tsubasa se lança alors sans plus attendre:

Bonjour Fujisarô-san. Excuse moi, je rentrais tout juste de vacances et j'ai dû m'endormir sans m'en rendre compte. Sache que je te suis très reconnaissante pour avoir accepté de m'accueillir comme colocataire, d'autant plus que je suis une nouvelle arrivée.

Ca alors, pensait Tsubasa tout en saluant Misaki. La jeune fille assise face à elle dégageait une douceur angélique et le charme fragile d'une poupée de porcelaine. Elle avait presque l'impression de voir une autre fille que celle qu'elle avait aperçue à la rentrée des classes. Sa mémoire avait retenu l'image d'une fille sage mais distante, à l'air plus ou moins fier. Peut être s'agissait-il d'un privilège que d'être sa colocataire, car la Misaki qui se déployait devant elle paraissait accessible, avec certes ce brin de réserve lorsque l'on est face à une inconnue. Rassurée? Peut être, car la conversation est parfois plus facile à engager quand il n'y a personne autour de soi. Cela dit, il sera très probablement difficile de s'habituer à cotoyer quelqu'un d'autre dans l'espace on ne peut plus intime qu'est la chambre. Surtout quand on a 16 ans.

Ces pensées défilaient rapidement dans l'esprit de Tsubasa, alors qu'elle n'avait pas fini de parler. Elle réalisa qu'elle s'emballait un peu et se tut, esquissant un petit sourire qui ne trompera personne et certainement pas une fille intelligente comme Fusajirô-san: Tsubasa était un peu confuse.

Le coeur de Tsubasa battait de plus en plus vite, chose inédite car jamais elle ne s'était sentie sous pression face à une élève du même niveau que le sien. Chose normale car après tout, dans son ancien lycée, elle connaissait plus ou moins tous ses camarades de promotion depuis des années et n'avait aucune raison d'être intimidée par qui que ce soit. L'ambiance très informelle entre élèves ne donnait lieu qu'à un petit esprit de compétition qui s'installait en période d'examens ou d'évènements sportifs, mais rien de plus. Mais dès ses toutes premières semaines à Astrea, Arima-san avait constaté que les rapports entre élèves était très différents, voire aux antipodes de ce qu’elle avait connu. Cela ne lui déplaisait guère et à ce jour, elle pensait pouvoir s'adapter assez facilement à ce style d’ambiance. Tsubasa vivait désormais au coeur d’un tout nouveau système, et elle tenait à bien s'en sortir.

Mais avait-elle bien agi? Pendant que cette question raisonnait en elle, la jeune fille vit Fusajirô-san fermer son livre et se lever doucement de sa chaise. Tsubasa l'observait d'un oeil discret et constata d'abord que le livre en question traitait de l'histoire du Japon, plus précisément d'une des périodes les plus passionnantes, à savoir la période Sengoku. Son regard s'éleva et elle put enfin voir de près le visage de celle qui partagera sa chambre avec elle. C'était un sentiment proche de celui d'une jeune fille découvrant son futur époux le jour de son mariage arrangé.

À son grand soulagement, Fusajirô-san apaisa ses craintes en faisant preuve de compréhension. Tsubasa était alors heureuse que son arrivée soit prise comme une bonne nouvelle, surtout par quelqu'un qui paraissait froid au premier abord.

Elle était également admirative face à la courtoisie de la jeune fille, qui s'empressa de s'incliner et de se présenter en bonne et due forme, avant de lui tendre la main. Tsubasa répondit à ce geste par une poignée de main chaleureuse. Ce premier contact inaugurait alors une nouvelle étape de leur vie à Astrea.

"Enchantée, Misaki-san. Et n'hésite pas non plus à m'appeler Tsubasa."

Tsubasa, dont les joues commencaient à virer au rose, se souvint du présent qu'elle apportait à Misaki-san.

"Au fait, ce n'est pas grand chose mais j'ai pensé à toi cet été et j'ai voulu faire un petit geste pour te remercier."

Elle alla chercher son cadeau qui se trouvait dans la première poche de son sac. Le petit paquet rouge était soigneusement attaché par un ruban vert. La mère de Tsubasa avait chez elle tout un attirail à consacrer aux paquets cadeaux, et sa fille a choisi celui le ruban représentait la couleur de l'école qu'elle était heureuse d'intégrer. Comme la coutume le voulait, elle le tendit avec ses deux mains et avec une légère inclinaison à une Misaki-san qui n'avait pas l'air de s'y attendre.

Tsubasa était cependant confiante car c'était un cadeau qui plairait sûrement à une jeune fille studieuse comme elle. Pour elle, ce geste s'imposait car, même si elle n'osait pas le formuler ainsi, elle était honorée de découvrir la vie à Astrea avcec une fille qui semble en être l'élève modèle.

La surprise de Misaki laissa place à une joie, celle de recevoir un cadeau de la part de Tsubasa. Le soin avec lequel elle ouvrit le petit paquet montrait à quel point cette attention la touchait. Le cadeau qu'il dissimulait sous ce ruban vert lui plut également, comme en témoignent les remerciements chaleureux qu'elle adressa à Tsubasa, avant d’ajouter:

«C'est la première fois que je me fais offrir un cadeau par une fille de l'école. Je suis un peu surprise mais je suis vraiment très contente.»

En entendant cela, Tsubasa réalisa qu'elle ne s'était jamais demandée si les collégiennes et lycéennes d'Astrea faisaient de même dans une telle situation. Existait-il des rituels de bienvenue officiels ou informels entre colocataires ? Ce qui pouvait être sûr, c’est qu’il ne devait pas y avoir de bizutage. Quoique, Tsubasa avait l'impression que pour les élèves de première année qui devaient nettoyer les chambres, cela en avait tout l’air. En tout cas, en décidant d’offrir ce petit cahier,  la jeune fille avait suivi son instinct et était restée fidèle à sa personnalité. Elle visait à adhérer aux coutumes locales d'Astrea mais sans pour autant se cacher derrière le masque de ce bel uniforme. Peu loquace, elle préférait parfois s'exprimer à travers d'autres moyens comme une lettre, une photo, un dessin ou un cadeau.

«Dans ce cas, je suis ravie que ça te plaise, répondit-elle à Misaki-san avant d'ajouter: personnellement, en ce moment je découvre chaque jour quelque chose pour la première fois ici. Il faut un début à tout, n'est-ce pas?»

Le sourire de Tsubasa n'était plus gêné mais sincère. Maintenant que la glace était brisée, elle se sentait plus détendue et disposée à discuter.

Elle se souvint d'ailleurs qu'elle se posait des milliers de questions sur l'école, sur les clubs et même sur la vie à Astrea en général. L'aperçu qu'elle en avait eu à travers les journées portes ouvertes et les plaquettes d'information était trop succinctes. Quant aux témoignages de sa grand mère, qui tenait à ce que sa rentrée se déroule parfaitement, ils ne devaient probablement guère refléter la réalité actuelle du campus.
Mais pas question de bombarder la pauvre Misaki de questions alors qu'elle paraissait déjà un peu gênée par le fait d'avoir reçu un cadeau. Il fallait faire un choix: qu'est-ce que Tsubasa voulait savoir avant tout, et dans quel cadre Misaki-san était-elle la mieux placée pour lui répondre?  Elle se lança:

«D'ailleurs, en parlant de choses nouvelles, je pense que je vais aller faire un saut au club de théâtre pour me familiariser avec. Est-ce que tu sais quelles pièces sont prévues pour cette année?»

Elle avait du mal à cacher son enthousiasme étant donnée sa passion pour l'art dramatique. La fin de l'été se faisait proche, et le festival d'automne ainsi le Bunka No Hi approchaient à grand pas. Débuter dans un nouveau club, avec de nouvelles camarades actrices et professeures, pour devoir jouer quelques semaines plus tard serait un véritable défi pour elle.

Misaki était également membre du club de théâtre, ce que Tsubasa avait constaté aux réunions d'information et au moment s’inscrire. À l'époque, bien qu'elle n'aurait jamais imaginé rejoindre sa chambre, la jeune fille attirait sa curiosité. Quels étaient les talents de scène de jeune fille si sage et un distante? Elle ne doutait pas de ses capacités, bien au contraire. L'un des adages favoris de Tsubasa était méfiez-vous des enfants sages, et jamais elle n'avait connu d'exception à la règle.