Les cloches de la cathédrale d'Astrea sonnaient à toute volée les trois heures, annonçant aux trois écoles du campus que la deuxième heure de cours de l'après-midi venait de s'achever et que commençait la suivante. Pour la classe B de troisième année du moins, elles annonçaient que la journée de cours était terminée et que les demoiselles en uniforme rose pouvaient se rendre à leur club ou rentrer à la résidence Strawberry. Accoudée à son bureau, Hikari était perdue dans ses pensées -comme à chaque cours de mathématiques, sabête noire- , à tel point qu'elle n'avait pas remarqué le départ de son professeur, ni le brouhaha qui s'élevait à présent dans la salle. Ce ne fut que lorsqu'elle sentit quelqu'un lui tapoter l'épaule qu'elle sursauta, reprenant part à la réalité, pour se retrouver face à Madoka qui lui souriait gentiment. Elle était habituée à voir la brunette aux yeux azurés rêver de la sorte, tant et si bien que la ramener dans ce monde ci était presque devenu une habitude:

"-Hikari-chan, qu'est ce que tu vas faire maintenant? Tu vas au club de couture ou tu rentres?"

Excellente question. Pour dire vrai, la Rimoise ne savait pas vraiment comment elle allait occuper son après-midi: toutes les créations du club de couture pour le festival d'automne -et en particulier pour les pièces de théâtre qui y seraient représentées- étaient terminées et ses camarades du club de yosakoï avaient décidées qu'il n'y aurait pas répétition aujourd'hui. Peut-être pourrait-elle rentrer à la résidence et étudier? Non, franchement, elle n'en avait aucune envie.

"-Je ne sais pas, j'ai bien envie d'aller visiter Miatre...je n'y suis que rarement rentrée...

-Fais attention à ne pas te faire surprendre par une des soeurs!"

La demoiselle acquiesça en souriant, se disant qu'elle ne risquait pas grand chose et que dans le pire des cas, elle écoperait simplement d'une punition, puis saisissant son cartable rouge qu'elle hissa sur son dos, elle s'en alla d'un pas vif pour se diriger jusqu'à la forêt qui recouvrait toute entière la colline d'Astrea. Traversant les différents chemins qui sillonnaient entre les arbres, profitant du temps encore agréable en cette fin d'été, elle remarqua soudain de hauts bâtiments se dessiner à travers les troncs, des bâtiments qu'elle connaissait très bien: Miatre. Majestueuse et dans un style ancien, impossible de rater la plus âgée des trois instituts.
Dans la cour, de nombreuses jeunes filles revêtues de l'uniforme réglementaire -une robe noire élégante bordée de dentelles- ayant terminé leur journée rentraient sans aucun chahut aux dortoirs, papotant tranquillement entre elles. C'était là une toute autre ambiance qu'à Rim: dans l'école cadette, il n'était pas rare d'observer des demoiselles riant, chahutant, sautillant sans que personne ne trouve à y redire.

Traversant les buissons qui séparaient la cour parfaitement entretenue de l'académie de la forêt , la Rimoise s'avança sur l'allée principale sans se soucier du regard de ses camarades Miatroises, s'interrogeant sans doute quant à la présence de cette jeune fille en uniforme rose, saluant même certaines qui la connaissaient pour avoir porté ses créations.
Alors qu'elle allait franchir le seuil du hall d'entrée, dans lequel se dressait une imposante statue de la Vierge Marie, deux premières années -des amies de Kimiko Ashiro, avec laquelle elle était très proche- l'abordèrent pour discuter avec elle, tout sourire, sans se soucier des frontières inter-écoles.
Depuis le voyage scolaire, les tensions et rivalités entre les trois instituts s'étaient apaisées, tout particulièrement entre Miatre et Spica, ce qui n'était pas pour déplaire à la troisième année. Celle ci se laissa donc aller à la conversation, se comportant avec toute la jovialité et la sympathie qui la caractérisaient si bien, sans réaliser que quelqu'un les observait de loin.

Ce quelqu'un s'était approché sans aucune hésitation, se dévoilant aux yeux de la Rimoise qui fut d'abord frappée par sa taille: comme elle était grande, elle la dominait d'au moins vingts bons centimètres! Et était d'une beauté à couper le souffle: de longs cheveux noirs fins et léger, dansant élégamment dans le vent, dont chaque mèche était coupée nettement, une frange parfaite encadrant joliment deux grands yeux azurés sévères, un visage délicat empreint de tout le charme qui caractérisait les demoiselles d'âge murs, sur le seuil de l'âge adulte mais respirant encore la fraîcheur d l'adolescence...un visage qui, hélas, exprimait une moue froide, assurée en dévisageant une à une les trois cadettes à présent silencieuses. Les Miatroises semblaient même un peu apeurées de voir se dresser cette élégante, ce qu'Hikari ne comprit pas du premier coups: certes elle était grande et assez imposante de par l'aura noble qu'elle dégageait mais en était-elle à ce point effrayante? Non, ce n'était pas de la peur à l'état pur...une sorte de respect mêlé à de la crainte...oui, c'était bien plus cela qu'autre chose. Et lorsque l'inconnue leur adressa la parole, la brunette réalisa pourquoi ses cadettes de Miatre avaient tant intérêt de se tenir à carreaux pour ne pas s'en attirer les foudres..

Comme ignorant la troisième année qui se tenait près d'elle, la jeune femme s'adressa tout d'abord à ses deux cadettes, leur demandant d'un ton inquisiteur si elle n'avait rien de plus intéressant à faire que de traîner dans les couloirs, ce à quoi les deux concernées ne répondirent pas, baissant juste pudiquement la tête en signe d'excuses avant de prendre rapidement congé, s'empressant de retourner  la résidence Strawberry sans même une salutation, tandis que l'élégante ajoutait à l'attention de la demoiselle de Rim si elle avait une bonne raison pour venir perturber les élèves et si il était indispensable d'appeler une soeur. Ah ça, elle préférait l'éviter à choisir. Depuis quelques temps, elle devait bien avouer qu'elle cumulait les bêtises et qu'elle ne parvenait à rester appréciée des soeurs que grâce à sa gentillesse et ses résultats qui étaient satisfaisants...alors autant ne pas basculer complètement dans le panier des "fauteuses de troubles".
Adressant un petit sourire désolé à son interlocutrice, la fixant droit dans les yeux -qu'elle trouvait superbe, bien que les siens soient de la même teinte- elle lui intima que ce n'était pas nécessaire:

"-Oh vous savez, tant que je ne rentre pas dans les bâtiments, les soeurs ne pourront pas me réprimander pour grand chose, ce serait bête de les déranger pour si peu."

C'était vrai, techniquement. Elle n'était rentrée que dans la cour de St Miatre et non pas dans son enceinte. Or, et comme le prouvaient les différentes élèves de Miatre et Spica qui venaient parfois flâner dans la cour de Rim,  la cour des écoles étaient considérées comme des lieux publics au même titre que l'église ou les dortoirs. Mais il était vrai que Miatre n'avait pas l'habitude de recevoir en son enceinte des élèves des deux autres instituts, ce n'était pas dans ses traditions au contraire de l'école benjamine qui accueillait à bras ouvert toutes les demoiselles, qu'importe l'école. Normal que cette jeune femme la regarde aussi sévèrement et ne la voit que comme une fauteuse de trouble plutôt qu'une invitée à accueillir chaleureusement:

"-Mais j'en conviens, ce n'est pas vraiment dans les habitudes de Miatre d'accepter que des filles des autres écoles se baladent dans sa cour... dommage, ça y mettrait des couleurs."

Elle accentua son sourire en ayant dit cela, s'étant cette fois fait doux et lumineux, avant d'ajouter:

"-Enfin bref...si vous souhaitez à tout prix prévenir une des soeurs, alors voici de quoi vous faciliter la tâche: Amakusa Hikari, troisième année à Rim."

Sa présentation achevée, la Rimoise resta là, sans rien ajouter de plus, attendant de voir si oui ou non la Miatroise allait se décider à appliquer le règlement et surtout à laisser tomber ce masque de sévérité qui obscurcissait son si beau visage.

Miyabi suivit brièvement du regard les petites premières années qui s'était rapidement éclipsées suite à sa... légère remontrance. Elles étaient facilement impressionnable à cet âge-là, il leur suffisait parfois d'un regard mécontent pour qu'elles soient terrifiées. Tout ce que la jeune femme voulait, c'est qu'on ne traîne pas dans les couloirs ; n'avaient-elles pas autre chose à faire, quelque chose de plus intéressant ? Bref, au moins ça de fait, elle espérait pour ses kouhai qu'elles allaient au moins mettre leur temps à profit pour les études ou bien un club.

Elle baissa les yeux vers la jeune Rimoise, tâchant de déterminer l'âge qu'elle pouvait avoir. Elle n'était pas très douée pour cet exercice, aussi elle ne s'avança pas trop, supposant simplement qu'elle ne devait pas dépasser la troisième année... A vrai dire, elle se demandait si elle aussi n'était pas en première, voire en deuxième année.
Avec sa petite taille menue - elle la toisait aisément, Miyabi n'avait même pas à se tenir droite - son visage fin et presque enfantin, et son uniforme rose, elle avait l'air d'une petite poupée aux joues roses. Difficile de lui donner un âge avec ce joli visage poupin. La Miatroise remarquait également que ses yeux étaient d'un ravissant bleu, tout comme les siens ; c'était un fait rare chez les japonais, et qu'elles partagent toutes les deux cette particularité était étonnant.

Miyabi soutint le regard de sa cadette calmement, levant subrepticement un sourcil devant sa réaction. Généralement on ne lui souriait pas, et on lui répondait encore moins. Quand elle réprimandait une kouhai, elle était plutôt vue comme une surveillante sévère, pas vraiment comme une autre élève. C'était... surprenant.

"Il est vrai que pour si peu, ce serait exagéré..."

Ça l'agaçait un peu que la demoiselle ait pu trouver à répondre à sa réprimande, mais elle devait admettre qu'elle avait raison. La Rimoise n'était pas totalement en faute et déranger une sœur pour si peu l’embarrasserait plus qu'autre chose. Et elle fut d'autant plus surprise lorsque l'expression du visage de la jeune fille changea, son sourire vaguement désolé devenant un air avenant et doux.
Se reprenant, Miyabi posa une main sur sa hanche, la regardant toujours ; elle manqua de répliquer que peut-être que St-Miatre n'avait guère besoin de couleurs... Mais finalement non, elle changea d'idée.

"Je vois. Mais je ne voudrais pas déranger une sœur pour une simple élève."

Hochant poliment la tête, elle ajouta même :

"Je suis Katsumoto Miyabi, cinquième année. A St-Miatre comme tu dois t'en douter. Et je suis curieuse de savoir quelle raison peut bien pousser une élève de St-Rim dans l'enceinte de notre établissement."

Visiblement, l'attitude qu'elle avait eu à son égard avait étonnée la Miatroise, dont le visage autrefois sévère afficha furtivement une expression surprise pour ensuite de nouveau se parer de son masque de Nô pour abonder dans le sens de sa cadette, admettant qu'en effet il serait exagéré d'aller déranger une religieuse pour si peu de choses avant d'ajouter qu'il serait regrettable de faire venir un membre du personnel pour une "simple" élève. Un terme bien sympathique qui cachait cependant une moquerie avérée dont Rim était souvent la cible: en effet, certaines Miatroises et un bon paquet de Spicoises tendaient à ne considérer les Rimoises que comme des inférieures, des jeunes filles dont la frivolité, la joie de vivre et le côté déluré étaient l'image même du petit peuple auquel elles appartenaient et qu'alors il ne fallait en aucun cas les côtoyer. Qu'y avait-il de plus honteux que de traîner avec de simples filles de commerçants ou de pasteurs -comme c'était le cas d'Hikari- quand on est soi-même héritière d'une grande et ancestrale lignée dont le nom brille depuis des générations? C'est dans cette idée que les frontières entre chaque école s'étaient affirmées depuis quelques années jusqu'à devenir complètement handicapantes lorsque Miatre, Spica et Rim devaient rassembler leurs élèves lors de grands évènements comme le sacre de l'Etoile ou le festival d'automne, le seul moment où Astrea ouvrait ses portes au public.

Ne relevant pas cependant la pique qui lui était adressée, n'ayant même pas envie de la relever tant il lui paraissait inutile de créer des tensions supplémentaires, la jeune brunette entendit son interlocutrice se présenter sous le doux nom de Miyabi Katsumoto, une élève en cinquième année, comme l'avait aisément deviné la troisième année, avant d'avouer se montrer curieuse quant aux possibles raisons pouvant pousser une élève de l'école benjamine à venir visiter l'académie aînée. Tiens, excellente question! La brunette n'en savait strictement rien, elle ignorait ce qui l'avait poussée à venir jusqu'à Miatre, ni pourquoi elle affectionnait tant se promener ainsi dans toutes les écoles du campus. Pour changer d'atmosphère sans doute? Oui, sans doute. Chaque institut avait une façon de faire, un climat, une ligne de conduite à adopter qui lui était propre, à l'image de leur histoire, de ce fait, il était souvent dépaysant de visiter les établissements d'Astrea. C'était d'ailleurs bien pour cela que certaines Miatroises venaient se détendre dans la cour de l'école aux murs roses et au toit vert, pour échapper à la pression qu'elles devaient subir et qu'elles pouvaient oublier en compagnie d'autres élèves qui les accueillaient à bras ouverts:

"-Je dois bien avouer ne pas savoir." ria donc la concernée en s'adossant contre le mur qui se tenait devant elle, "Doit-on obligatoirement avoir une raison pour tout ce que nous faisons?"

Soupirant en fixant avec intensité son aînée, elle reprit:

"-Peut-être que je désirais simplement changer d'air...me retrouver au calme. Et le calme, hormis à la cathédrale, je ne puis le trouver qu'en cet établissement."

Sa camarade devait surement se demander où elle voulait en venir en lui racontant tout ça, même se questionner quant à l'infime possibilité qu'une élève de Rim puisse préférer le calme et la discipline stricte de Miatre plutôt que l'ambiance bonne enfant de sa propre école. A vrai dire, Hikari appréciait le côté joyeux et léger qui régnait en maître là où elle étudiait mais elle devait bien avouer que tout ces rires, ces bavardages incessants lui tournaient la tête, et de par sa nature calme et posée, l'agaçaient au point de la rendre irritable. Aussi, pour ne pas se laisser aller à la colère et briser sa réputation de jeune fille souriante -celle que toutes Rimoises digne de ce nom se devait de maintenir-, elle s'isolait dans le silence de lieux plus calmes dont Miatre faisait inexorablement partie:

"-Contrairement à ce qu'on peut croire, toutes les filles de Rim ne sont pas délurées et bruyantes, certaines comme moi aiment aussi être au calme. Mais bon, qu'importe. Dis moi, Katsumoto-san, aurais-tu des origines étrangères?"

A vrai dire, la couleur si claire, si pure qui emplissait les iris de l'élégante avait frappé la jeune fille aux cheveux noirs, qui avait peu l'habitude de se retrouver en présence d'une demoiselle partageant la même couleur d'iris. Aussi, elle n'avait pu s'empêcher de glaner des informations, quitte à paraître un tantinet trop curieuse:

"-Tu as de si beaux yeux bleus que je ne peux m'empêcher de me poser cette question." ajouta-t-elle d'un ton amical, tout sourire