Sujet: Baignade & Escapade [Yuuki] Dim 15 Déc - 16:55
L'odeur tristement célèbre de l'eau chlorée emplissait les narines de Sookie. A peine eut-elle mit les pieds dans les vestiaires que sa gorge se noua. Il lui sembla que les murs carrelés de la pièce se rétrécissait au fur et à mesure qu'elle se dévêtit. Sensation désagréable qui s'amplifia avec la présence des autres étudiantes de sa classe. Certaines d'entre elles faisaient preuve d'un manque total de pudeur, exhibant leur corps en tenue d'Eve. D'autres, plus civilisées, se contentaient de se changer avec rapidité, enveloppées dans leur serviette de bain. Quant à Sookie, assise sur le banc froid des vestiaires, prostrée dans un coin, attendait patiemment que toutes les demoiselles quittent la salle pour gagner le bassin sportif. Sa volonté de préserver sa silhouette de tout regard dépassait les limites de la pudeur, s'apparentant davantage à la phobie sociale. Une fois tranquille, elle put disposer des vestiaires comme bon lui semblait. Cette liberté lui plaisait, ainsi, ses tympans pouvaient se reposer. Les jacassements de ses camarades de classe avaient fini par l'épuiser. Les piaillements résonnaient encore dans sa tête, tels des ricochets qui ne cessaient de créer à l'infini des ondes de plus en plus monstrueuses.
Son uniforme reposa sur un crochet, et ses collants furent pliés proprement dans son sac. Elle finit par retirer ses sous-vêtements, afin de les remplacer par un maillot de bain dont le tissus épousait les sinuosités de son corps gracile. Bien que ce dernier était sobre et d'une simplicité à toute épreuve, il soulignait parfaitement ses formes inexistantes. Réajustant sa tenue indécente, elle poussa un soupir. Sookie n'avait rien d'une jeune femme de son âge. Si cela ne tenait qu'à elle, elle aurait porté une robe longue, comme les femmes occidentales plusieurs siècles auparavant. A cet instant précis, elle maudissait l'inventeur de cet affreux maillot de bain. Ce devait être un homme, très certainement.
Ne pouvant s'enfermer à double tour dans les vestiaires, elle finit par sortir de sa cachette. Les bras croisés autour de son buste, elle fit abstraction de la douche obligatoire avant de pénétrer dans les bassins. Ayant la ferme intention de ne pas se baigner, elle trottina vers les gradins. Ses pieds nus manquèrent de glisser à plusieurs reprises, fort heureusement, elle longea les murs, s'y aidant pour pas ne s'étaler sur le carrelage et ainsi, se faire repérer. En un rien de temps, elle arriva à destination, s'asseyant sur un banc, tout à droite. De telle façon à ce que les étudiantes de Miatre ne puissent pas la voir. Mission réussie pour Sookie. Toutefois, l'absence de notre ingénue ne manqua pas d'être signalée auprès de la Soeur qui fila dans les vestiaires. La traque pouvait commencer.
Des éclats de rire parvenaient aux oreilles de la fugitive. Ses camarades de classe semblaient s'amuser. Aucune d'entre elles ne se souciaient de son absence. Personne. Seule la Soeur, pour des questions de sécurité et de sa responsabilité, la recherchait. Non, on s'en fichait de la petite ingénue. Cela aurait pu la frustrer, de n'être rien aux yeux de son entourage. Mais à cet instant précis, elle en était bien contente. Par la baie vitrée, elle observa avec attention les flocons virevolter dans les airs. Qu'elle aurait aimé sortir ! Sookie se sentait prisonnière de cet horrible endroit. Tout était moche ici. Les maillots, les odeurs, la couleur ... Rien. Même la chaleur de la piscine lui faisait mal à la tête. Pauvre petite chose disait sa nourrice. Elle n'est pas faite pour le grand air, il lui faut un château dans lequel elle restera enfermée à jamais. Un domaine rien qu'à elle, avec des domestiques à son service.
Ses bras encerclèrent ses genoux pliés, ainsi recroquevillée, elle pensait demeurer introuvable. C'était sans compter sur une autre demoiselle à la chevelure bleutée qui arrivait à grands pas, manquant de s'affaler sur le carrelage de la piscine. A la tête qu'elle faisait, elle était furieuse. Un véritable dragon menaçant de lancer des flammes en sa direction. Sookie s'imaginait déjà ne devenir qu'un amas de croutes noirâtres. Un corps calciné sentant le brûlé. Très vite, ses pensées obscènes cédèrent leur place à la crainte. Ses mains agrippèrent les barreaux en métal des gradins. Son corps entier se crispa au contact d'une main qui n'était pas la sienne sur son épaule frêle. Contact amplifié par l'absence de tissus qui la recouvrait d'habitude. Sookie frissonna imperceptiblement, comme touchée par un être nauséabond qu'elle souhaitait repousser. Comme les lépreux à l'époque du Moyen Âge. Dans sa tête, les crécelles retentirent.
" Ce n'est pas l'heure ! Ce n'est pas l'heure ! " rétorqua t'elle en secouant la tête. Ses boucles fendant l'air avant d'encadrer son visage dont les traits étaient tirés. Non, il n'était pas l'heure de manger. Il n'était que dix-sept heures trente. Le souper était organisé bien plus tard dans le réfectoire de la Résidence Strawberry. Les cuisinières devaient d'ailleurs s'afférer dans leurs préparatifs.
Dans un acte vain, elle chercha une issue de secours. Ses yeux étaient en perpétuel mouvement. S'agitant frénétiquement de tous côtés avant que la jeune femme ne se lève et tente d'escalader son siège pour regagner celui de derrière. Agissant ainsi, elle avait tout d'un petit animal pris en chasse par un prédateur. Pourtant, elle n'avait rien à craindre de cette étudiante aux airs doux et à la tignasse intrigante. Rien y faisait, il fallait qu'elle se sauve. Qu'on la laisse tranquille. La pauvre n'avait rien demandé.
Pauvre petite chose prise au piège. L'ingénue avait la manie de tout amplifier. Une simple main sur son épaule, rien qu'une main posée et tout virait au cauchemar. Cette sensibilité excessive la rendait instable et à fleur de peau. Il était aisé de la faire sortir de ses gonds, de la briser. Sookie était une poupée à manipuler avec précaution, mieux valait ne pas l'approcher. Ses proches l'avaient d'ailleurs bien compris. Ils l'avaient tous abandonnée, sans exception. Et la voici maintenant entre les bras de l'énergumène qui l'avait retrouvée. L'encerclant ainsi, l'immobilisant, toute tentative était vaine. Heureusement pour la jeune femme, l'usage de sa voix lui était accordé. Du moins, pour le moment.
" C'est toi qui me fait mal ! Tu me fais mal ! Tu me fais mal ! " s'indigna t'elle tandis qu'aucune douleur ne la submergeait vraiment. C'était dans sa tête, une fois de plus. Son imagination débordante lui infligeait des souffrances irréelles qui n'avaient pas lieux d'être. Tout n'était que mensonge. Et ça, Sookie n'était pas en mesure de le découvrir. Trop renfermée sur elle-même. Trop insouciante encore. Elle n'avait pas encore compris que tous ses caprices l'entrainaient dans une situation critique. Qu'allait t'elle devenir au juste ? Une erreur, sans doute.
Puis, pour mettre fin à ses vociférations, une main se posa sur ses lèvres. La forçant à se taire pour de bon. Son regard se posa sur la sœur qui approchait dangereusement. Docilement, elle cessa de bouger dans tous les sens. Son cœur cognait dans sa poitrine, si bien qu'elle avait la sensation que l'organe allait broyer sa cage thoracique. Sookie mesura le risque d'une telle évasion. Et si la sœur prévenait ses parents ? Et si elle se faisait exclure de l'établissement à cause de sa mauvaise conduite ? Et si ses parents décidèrent de la garder parce-qu'ils auraient honte ? Le cerveau de la jeune femme fourmillait de pensées toutes plus obscures les unes que les autres. Si bien que la panique s'installa, de petites perles salées traversèrent ses joues pâles pour regagner la main de son bourreau. Pourquoi s'indignaient-ils tous contre elle ? Sookie n'avait rien fait. Elle qui était si peu encombrante se révélait être un véritable problème.
La demoiselle qui la tenait fermement l'aidait cependant dans son calvaire. Elle aurait très bien pu la dénoncer. Mais elle ne le fit pas. Encore un mystère qui la dépassait. Les yeux clos, elle préféra attendre et ignorer son sort. Allait-il lui être fatal ? Son enveloppe corporelle tremblait, ne la rendant que plus fébrile encore. Ses mains se posèrent sur les cuisses de la femme aux cheveux bleus tandis que son dos reposa contre le buste de cette dernière. Sookie se faisait tout petite. Elle voulait qu'on l'oublie.
On eut dit une enfant, en proie à de vilains sanglots qui faisaient tressaillir son corps de poupée. Sookie ne faisait rien pour arranger la situation dans laquelle elle s'était plongée la tête en avant, sans mesurer la gravité des représailles qu'elle était susceptible de subir par la suite. Malgré que la bonne soeur ne fasse demi-tour et se dirige à l'autre bout de la piscine, ses larmes continuèrent à tracer leur chemin le long de son doux minois bordé par ses boucles aux reflets ensoleillés. Sans s'en rendre compte, ses lèvres furent à nouveau libres de s'animer comme bon lui semblait. Dans l'optique de l'apaiser, son interlocutrice tenta tant bien que mal de faire créer un barrage sur ses joues. Geste qui lui rappelait ceux de sa nourrice, bien des années auparavant.
" Je n'y peux rien. Ce n'est pas ma faute. " se plaignit-elle comme pour se justifier de cette soudaine perte de contrôle. La jeune femme souhaitait l'aider. Simplement lui porter secours. Alors pourquoi se mettre dans de tels états ? Sookie n'en savait rien, c'était plus fort qu'elle. Il fallait que tout ce flot de tortures mentales s'évapore de sa tête. La demoiselle dont il était question se prénommait Yuuki. Elle avait le même âge que notre ingénue et pourtant, elle semblait bien plus mature et éveillée. Sookie avait honte. Ses mains quittèrent les cuisses de cette dernière pour regagner son visage, qu'elle frotta pour retirer toute trace des perles salées. Maudites larmes qui lui laissèrent sur leur sillage des yeux rouges et humides. Ses prunelles miroitaient, tandis que sa gorge demeura douloureuse. Comme si elle s'était endommagé les cordes vocales à force de trop hurler.
" Soo ... Kie. " dit-elle du bout des lèvres, omettant de préciser l'année auquel elle appartenait. Il fallait lui laisser un peu de temps, avant que ses idées ne se remettent en place. Une mécanique que Sookie avait du mal à gérer. " Je ne suis pas une enfant. Non. " ajouta t'elle sourdement. A la fois gênée et confuse d'être traitée comme tel. Bien que Yuuki avait toutes les raisons du monde de materner notre ingénue de la sorte. " J'ai besoin de respirer. " réprima t'elle en s'extirpant des genoux de la demoiselle aux cheveux océans. Une fois debout, elle se tourna à demi vers son interlocutrice. Curieuse, elle se demandait si la jeune femme n'était pas une nymphe. Ces êtres aquatiques qui occupaient les ruisseaux pour enivrer les hommes de leur chant. A la façon des sirènes, bien que les nymphes et autres naïades avaient une silhouette humaine. Sookie appréciait la mythologie, tant et bien qu'elle y croyait fermement. " Tu ne devrais pas être ici. Elles ne viennent pas là. Jamais." dit-elle en ayant la conviction que la présumée nymphe devrait se trouver près d'une cascade, et non enfermée dans une piscine à l'eau chlorée et peu adaptée à de tels êtres magiques.
Rares étaient les fois où Sookie passait pour une jeune femme normale. C'était un être à part, à classer dans un dossier réservé aux originaux. Qu'ils soient fous ou bien qu'ils cultivent une autre façon de penser que celle dictée par la société. Parce qu'il n'y avait pas de place attribuée à ces gens-là. Des marginaux. Ils faisaient peur. Ils insufflaient l'incompréhension. Cependant, Yuuki ne semblait pas gênée par notre ingénue et ses réponses pour le moins ... Inattendues. Au contraire, la situation semblait l'amuser. Sookie devait donc être distrayante. Oui, comme un humoriste sur une scène de spectacle, sous les feux aveuglants des projecteurs. Toutefois, quand le numéro sera terminé, aura t'elle toujours un public pour rester à ses côtés ? La réponse, elle la connaissait dors et déjà. Comme à chaque fois. Aussi, elle ne se fit pas d'illusions. Elle avait arrêté depuis un long moment.
Son interlocutrice était enchantée. Enchantée ... Vraiment ? Sookie demeura perplexe, ses prunelles chocolatées quittant le minois de cette dernière pour guetter ses camarades de classe qui visiblement passaient un agréable moment toutes ensemble. Certaines nageaient à la file indienne, tandis que d'autres, plus dissipées, se chamaillaient gentiment. L'ingénue trouva le tableau bien trop joyeux pour venir l'entacher par sa seule présence.
Face aux interrogations de Yuuki, elle la dévisagea. Elle ne se rendait pas compte que ses dires lui étaient incompréhensibles. Car Sookie avait un langage que l'on pouvait juger d'unique. " Les nymphes. Elles ne quittent jamais les ruisseaux normalement. Tu n'aurais pas du t'éloigner, elles vont se venger. " s'expliqua t'elle, les sourcils froissés, marqués par l'inquiétude. Les nymphes étaient des êtres bougrement rancuniers et sans pitié. Il arrivait, que dans les histoires et les contes que lisait Sookie, ces créatures s'entretuaient. Pour cause de jalousie, bien souvent. L'étudiante de Miatre ne passait pas une journée sans se plonger dans des ouvrages traitant des mythologies nordiques et grecques. Malgré l'interdiction formelle des médecins qui la suivaient. Ils s'étaient rendus compte que la demoiselle vouait une admiration venimeuse pour ce genre de croyance absurde et passée.
La main de Yuuki rencontra la sienne, ce qui laissa la petite Sookie réticente. Ses pupilles s'agrandirent lorsqu'elle évoqua son envie de la ramener près de sa classe. Sa réponse fut sans appel : " Je n'en ai pas envie. " Froid et tranchant. Une lame qui fend l'air dans un sifflement strident. " Ne me touche pas. " ajouta t'elle sur le même ton, levant sa main d'un coup sec, forçant Yuuki à relâcher sa prise. La carapace de Sookie se renforça, la faille disparaissant peu à peu. Un mot de travers, un seul, et tout espoir de parvenir à apprivoiser l'ingénue se réduisait en cendres.
L'être humain est imparfait. Imparfait mais pas repoussant. L'ingénue en avait conscience, elle n'était pas la seule à croire les théologiens. Serait-ce la marque d'une crédulité exacerbée ? Non, ce serait faux de le dire. Simplement, la fertilité de son imagination l'enferme dans un monde où les frontières entre l'irréel et le réel se confondaient. Sookie ne faisait même plus la distinction entre l'abstrait et le concret. Tout prenait un sens, tout avait une image dans l'esprit de notre étudiante. Certains appelleront cela la créativité, tandis que d'autres, la folie. Cela n'est rien d'autre qu'une question de sensibilité.
La détresse de notre Sookie s'évapora au fil des minutes qui s'écoulèrent. Sitôt apparue, sitôt envolée. De nouveau assise, son interlocutrice eut l'air de l'avoir oubliée l'espace d'un fragment de secondes. Tant mieux. Cette dernière revint à la charge, faisant l'impasse sur son précédent refus. Ne rien brusquer, telle était la règle d'or des chasseurs de gibier. Yuuki l'avait cernée, très probablement. Prenant soin de mesurer les propos de la présumée nymphe, Sookie répondit : " Ce n'est pas un vision. Car si tu y crois, si au fond de toi tu en as la conviction, alors elles seront réelles. ". La main portée à sa poitrine, notre ingénue sentait son cœur se déchirer en lambeaux. Sensation éprouvée par le besoin de s'exprimer, pour une fois. "C'est une force qui dépasse les hommes, puisqu'elle les détruisent. Elles les dévorent, les réduisent en charogne. " ajouta t'elle, les traits de son visage s'adoucirent, lui offrant un air serein malgré l'abomination de ses dires. Parce-que tout lui paraissait beau, même si un paysage sanglant et morbide se profilait dans sa tête. Magnifique.
C'était dans ce genre de contemplations que notre petite Sookie sentait naître une passion grandissante. Qui l'absorbait. Aussi, avait-elle l'espoir que Yuuki la comprenne, qu'au moins une personne puisse partager ses réflexions. Restant debout, en face d'un siège vide qu'elle se bornait à regarder, elle écouta avec attention la suite des renseignements que lui apportèrent la jeune femme. " C'est une grande famille. L'espèce humaine comporte bien elle aussi plusieurs variétés. " dit-elle avec un ton posé et réfléchi. La soudaine aisance dont elle faisait preuve à communiquer l'étourdissait elle-même. Il était rare qu'elle aligne autant de mots, en si peu de temps.
La tête penchée sur le côté, le regard rivé vers Yuuki, elle en arriva à une sorte de conclusion, sonnant comme une sentence de la bouche de notre rêveuse : " Alors, tu n'es pas l'une des leurs. ". Une once de déception pu se déceler sur son visage, elle posa néanmoins la question qui la taraudait : " Qu'est-ce que tu es ? Pourquoi être ici ? ". Sookie avait l'ultime conviction que l'être qui se trouvait non loin d'elle ne pouvait être une humaine. Tout comme elle. Toutes deux ne faisaient pas partie de ce monde. C'était certain.