Le septième jour de la semaine sonnait pour les étudiantes d'Astraea comme un moment de détente et propice à l'amusement collectif. Ce qui n'était pas le cas pour notre Sookie. Préférant de loin la routine quotidienne des cours magistraux. Au moins, une atmosphère studieuse régnait dans la résidence Strawberry. Les rires, la musique, les papotages la dépassait. Ses tympans réclamaient du calme. Et quoi de mieux qu'une virée en forêt en cet après-midi hivernal. C'est avec discrétion que notre ingénue s'était immiscée à l'extérieur, emmitouflée dans un épais manteau assorti à son uniforme dénué de toute fantaisie. Personne ne l'avait vue. Et quand bien même on l'aurait aperçue, personne ne se serait soucié d'elle. Un être insignifiant, dont on oublie le nom et le visage en un fragment de secondes. Cela ne froissait en aucune façon Sookie, qui en tirait bien plus d'avantages que d'inconvénients. Du moins, pour le moment.

Lorsqu'elle parvint à la lisière de la forêt, un souffle frais vint embrasser son visage de poupée. Faisant virevolter sa crinière bouclée, glaçant ses mains nues dont elle prit soin de protéger dans les poches de son manteau. A mesure qu'elle s'enfonçait dans les bois, les voix des choristes s'estompaient. Laissant place à la mélodie que produisait le vent sur les feuilles des arbres. D'une couleur éclatante, ces dernières égayaient le paysage. Ses pieds rencontraient des feuilles mortes, des brindilles qui se brisaient sous les semelles de ses chaussures en toile. Progressant dans le sous bois, elle ne tarda pas à rencontrer le grillage d'Astraea. Sookie fut contrainte de rebrousser chemin.
Avec lenteur, elle reprit la direction de la Résidence, son souffle chaud produisait une fumée blanche à la sortie de sa bouche. Une fois de plus, la japonaise se laissait porter par le vent qui la poussait délicatement. L'incitant à avancer, à revenir dans sa prison dorée. C'est avec amertume qu'elle avançait, sachant pertinemment ce qui l'attendait à son retour : la solitude et l'ennui. Vraiment, elle haïssait le dimanche.

Ce qui se produisit quelques secondes plus tard était peut être un appel du destin. Ou du moins, une rencontre étonnante. Alors que la jeune étudiante s'apprêtait à quitter les lieux, elle tomba nez à nez sur une demoiselle à la chevelure brune. Ce fut le seul détail qu'elle eut le temps de prendre en note, car à peine avait-elle posé les yeux sur cette dernière, que Sookie se retrouva entre ses bras, les lèvres couvertes de l'une des mains tièdes de l'inconnue. Ses yeux noisettes s'écarquillèrent de stupeur et d'incompréhension. Bien qu'apeurée, elle comprit l'angoisse de la situation et resta parfaitement immobile. Se murant dans un silence total dont seul les battements de son cœur encore sous le choc des émotions passées résonnaient.

Durant ce laps de temps, Sookie eut l'occasion de mieux observer la demoiselle contre laquelle elle était blottie. Un visage pâle, excessivement féminin, encadré par une tignasse aussi sombre que les plumes d'un corbeau. Deux puits tout aussi obscurs ornaient sa figure. Il y avait quelque chose de dynamique dans son regard, il pétillait. Serait-ce par ce qu'elle avait peur également ? Ça, Sookie ne pouvait le deviner. N'osant détourner le regard, elle garda ses prunelles grandes ouvertes, tous les sens aux aguets. Puis, dans un élan de confusion, elle nicha son visage contre le buste de la brune dont elle ignorait tout. Réchauffant par la même occasion ses joues glacées.

La plupart des individus qui peuplent notre Terre restent ahuris face aux absences de Sookie. Cette dernière avait le don de s'immiscer dans un autre monde. Son monde. Si bien qu'elle en oublie la réalité, qu'elle oublie ceux qui l'entoure momentanément. Dés l'instant où elle avait posé sa figure contre la poitrine douillette de la fugitive, son esprit se laissa submerger par les songes. Elle se sentait bien, si bien. Le froid céda sa place à une douce chaleur émanant de la jeune femme contre laquelle elle s'était lovée. Geste involontaire qui lui prodiguait un bien être fou. C'était le genre de traitement que l'on réservait à un être cher à son coeur. Et pourtant, Sookie n'avait aucune gêne à être ainsi avec une parfaite inconnue. C'est le genre d'instant où tout perd son sens. Où l'on ne réfléchit plus et on se laisse guider par ses instincts primaires. Se réchauffer, en l'occurrence.

Puis, comme un rappel, l'étreinte se resserra autour d'elle, la forçant à se crisper. L'air commençait à manquer, ses narines devinrent douloureuses à force d'inspirer de l'air frais et sec. Imperceptiblement, elle se tortilla, cherchant à se défaire des bras de la brune. En vain. Ses yeux s'agrandirent, ses sourcils se froissèrent, son visage était déformé par la peur. Peur qu'on lui fasse du mal. Ou plutôt, peur de ne pas pouvoir faire ce qu'elle veut avec son enveloppe corporelle. S'il y avait bien une chose que Sookie avait du mal à accepter, c'était bien de s'abandonner. Elle tenait à garder le contrôle de son corps, et ce, coûte que coûte. Alors ces bras qui l'enserrait faiblement lancèrent une alerte à son cerveau. Une sorte de sirène résonnait dans sa tête. Sa limite avait été atteinte. Mais heureusement pour elle, la seconde d'après, elle fut libéré du joug de l'inconnue. Avec une pointe de brusquerie, elle fit un pas en arrière. Sa silhouette se décolla de celle de l'autre étudiante. Les lèvres entrouvertes, respirant profondément, elle toisa cette dernière.

Après un long moment de silence, elle répondit enfin : " Je ne suis pas sûre." Sa voix trahissait son incertitude et sa confusion. Elle effleura ses lèvres du bout des doigts, puis ses joues, avant de détailler son buste : " Je n'ai rien. Mais je ne suis pas médecin, je ne peux pas savoir." Cela n'avait pas vraiment de sens. De toute évidence, elle était saine et sauve. Tout se passait dans la tête de Sookie, pour qui il n'était pas facile de faire un tri parmi toutes ces émotions. Si bien qu'elle ne se rendait pas compte de l'idiotie de sa réponse.

Ses yeux se perdirent sur la tenue de son interlocutrice. Vêtue d'un manteau semblable au sien, il était impossible d'en déduire de quelle académie venait celle-ci. En tout cas, elle n'était pas dans sa classe. Quoi qu'elle ne s'était jamais intéressée aux autres élèves.  Sookie resta plantée devant la jeune femme, ses mains ne cessant de caresser ses joues encore tièdes. Le froid, cet horrible froid, vint taquiner sa peau à nouveau, tandis qu'elle resta muette. Incapable d'engager une conversation normale. Quand bien même elle essayerait, elle échouerait lamentablement.

Des souvenirs pas si lointains revinrent se glisser dans l'esprit confus de l'ingénue. Dont l'image d'un homme en blouse blanche, aux cheveux coupés en brosse,  qui effectuait quotidiennement les mêmes gestes inlassablement sur la pauvre enfant. Sookie en avait oublié son nom, mais ce qui était sûr, c'est qu'elle l'appelait "Docteur". Les traits de son visage se tirèrent, offrant un air inquiet à la jeune femme au cours de son auscultation. Avec une docilité étonnante, elle laissa son apprenti médecin s'emparer de son poignet. De légers picotements vinrent l'embêter, probablement du à cette proximité qu'elle avait du mal à tolérer. Cependant, elle se remémora ce qui lui répétait ses parents, à chaque rendez-vous : " Tiens toi tranquille Sookie.".  Cette petite voix lui permit de garder un calme olympien tout au long des traitements que lui infligeait la brune. L'aidant même dans sa démarche lorsqu'elle flatta son cou, en basculant vers l'arrière ses boucles gênantes et en ouvrant la bouche timidement. Rien à signaler selon les dires de son interlocutrice, le tout accompagné d'un sourire. Un vrai sourire.

" Combien vous dois-je ? " demanda t'elle sans comprendre la plaisanterie qui se déguisait. Avec automatisme, elle farfouilla dans ses poches, à la recherche d'une quelconque offrande. Rien hormis un paquet de pocki à la fraise se cachait dans son manteau. Sookie sortit donc les gâteaux en question, comptant chaque bâtonnet parfumé avec un sérieux quasi religieux. " Je n'en ai que six. J'espère que ça suffira. " ajouta t'elle en tendant ce qui lui servait de monnaie à la japonaise. Sookie ne mesurait pas le ridicule de la situation. Elle agissait avec un naturel déconcertant, comme si tout était parfaitement normal. Et ça l'était pour elle. Tout aussi banal qu'une discussion sans intérêt entre deux protagonistes autour d'une tasse de chocolat chaud en plein hiver, dans une salle bondée. Ses prunelles chocolatées ne quittèrent pas la figure de l'étudiante qui lui faisait face. Elle attendait sa réaction, craignant de ne devoir retourner dans la Résidence, en quête de son porte monnaie généreusement garni par ses parents. Argent de poche qui ne lui servait d'ailleurs qu'à payer des boîtes de Pocki ainsi que quelques ouvrages. Sookie n'avait pas l'âme d'une accroc au shopping. N'osant jamais sortir d'Astrea. Jamais.

" Mais un sourire, ça ne se donne pas. " dit-elle dans un souffle. Sa voix paraissait lointaine, comme si plusieurs dizaines de mètres séparaient les deux protagonistes. Encore une fois, Sookie ne percevait pas la symbolique des mots employés par son interlocutrice. Elle avait bien du mal à atterrir sur Terre. Préférant de loin effleurer les étoiles et se laisser dériver dans le royaume de Morphée. L'ingénue s'assimilait à une anomalie, un anachronisme. Elle aurait tellement voulu respirer à l'époque de la Grèce Antique. Croire fermement aux Dieux descendant du Mont Olympes, aux Nymphes et autres divinités aujourd'hui passés de mode. Malheureusement pour elle, ce n'était pas le cas. Sookie était contrainte de vivre dans une époque qui la repoussait. Tout lui semblait si fade. A commencer par les paysages urbains, les habits bien trop simplistes et cette obsession de la perfection. Aux yeux de notre petit tête blonde, la tenue de la jeune femme était bien provocante. Voire même choquante. Exposer ses jambes ainsi, sans aucune gêne, lui parut insensé. Alors évidemment, le froid prenait le dessus.

Sookie poussa un soupir, faisant hausser ses épaules frêles. " C'est impossible." conclut-elle pour elle-même. Clôturant ainsi ses réflexions intérieures. En oubliant presque la présence de la brune, qui d'ailleurs, était dans une posture plutôt inattendue. La bouche ouverte, tel un dauphin réclamant son dû après un spectacle aquatique. Toutefois, ce que quémandait la jeune femme n'était certainement pas une sardine. Non, quelque-chose de bien plus sucré. Avec une certaine rancœur, Sookie glissa un Pocky entre les lèvres de cette dernière. Veillant à ne pas aventurer trop loin le bâtonnet. Il ne manquait plus qu'elle étouffe par mégarde une étudiante.

Une brise glacée vint embrasser sa nuque, titillant ses boucles qui se mouvaient dans l'air. Son regard se porta à nouveau sur la jupe de la demoiselle qui lui faisait face, et par mégarde, elle laissa échapper : "Ce n'est pas bien. ". Un sermon qui n'allait probablement pas être bien accueillit par sa destinataire. Mais ça, Sookie n'y avait pas pensé. Elle n'était pourtant pas une Sainte. Quoi que son innocence et sa pureté étaient des arguments qui jouaient en sa faveur. Cependant, elle n'était pas un exemple de sociabilité.

Ses jambes se croisèrent également, le froid commençait à paralyser ses muscles à force de rester droite et immobile. C'est à ce moment là qu'elle regretta de ne pas être enveloppée des bras de la brune qui auparavant l'avaient encerclée. Etreinte qu'elle avait apprécié pour sa chaleur. Aussi, sans aucune gêne apparente, elle pointa du doigt la poitrine de son interlocutrice : " Je peux ?" demanda t'elle au préalable, enfouissant son menton et ses lèvres dans le col de son manteau. La petite Sookie n'était pas aussi farouche qu'elle le laissait supposer.