Enfermée dans la salle déserte réservée au club de cosplay, bercée par le doux chant des cigales qui s'égosillaient en cette chaude journée d'été, Hikari relisait encore et encore la missive qu'elle venait de recevoir de sa mère, sa poitrine se serrant de plus en plus à chaque lecture. Elle était bien sûr heureuse de lire quelques nouvelles de sa famille, qui semblait se porter à merveilles malgré les éternelles difficultés financières -le lot quotidien de son père et ce bien avant sa naissance-, mais hélas, certains propos de l'expéditrice avaient eu raison de sa bonne humeur et de sa joie. Dans sa lettre, cette dernière lui demandait de revenir à Midorigawa le 10 du mois afin que tous ensembles, ils puissent se rendre sur la tombe de Kibuki -la jumelle d'Hikari- pour y porter des offrandes et "célébrer" la sixième année qui s'était écoulée depuis son décès; et lui demandait aussi de bien vouloir -cette année au moins- accéder à sa requète, assurant que sa soeur serait ravie de les voir réunis auprès d'elle.
La Rimoise, en parcourant ses mots, froissa involontairement la feuille, se mordant les lèvres pour contenir les larmes qui lui montaient aux yeux: non, elle n'était pas encore prête...elle ne se sentait pas la force d'obéir à sa mère et de se rendre devant la stèle portant le nom de sa chère jumelle. Elle ne voulait pas la voir, cette pierre grise immonde se dressant fièrement devant elle, elle ne voulait pas admettre que son double, sa meilleure amie, sa soeur aînée qui avait été toute sa vie était couchée là, juste en dessous, et qu'elle ne pourrait jamais plus se réveiller. C'était trop dur....de voir la réalité en face, bien qu'elle ait depuis longtemps admis que Kibuki ne reviendrait jamais près d'elle.

Le long soupir qu'elle poussa retentit avec force dans la pièce silencieuse, la faisant sortir de ses pensées et de sa tristesse. Non, si elle se laissait aller de la sorte, elle ne parviendrait jamais à remonter la pente. Elle avait réussi à rendre sa vie plus joyeuse n'est ce pas? Et cette existence là, qu'elle s'était créée à Astrea, elle ne voulait y renoncer pour rien au monde, surtout pas par pure faiblesse.
D'un bond elle s'extirpa de sa chaise, frappant avec la paume de ses mains la table placée devant elle et de laquelle aiguilles et bobines de fils firent un bond de surprise, bien décidée à se sortir de la morosité qui avait envahi son coeur, un grand sourire aux lèvres: pour soigner l'âme, elle ne connaissait qu'un seul moyen! Les sucreries! Et où donc pouvait-elle se délecter de délicieuses douceurs préparées avec amour tout en papotant avec des amies? Hikari avait déjà la réponse en tête, et c'est vêtue de sa dernière création -un kimono de geisha d'un bleu rafraîchissant, superposé au dessus d'une sous-jupe d'un rouge pétillant, décoré de fleurs et de feuilles luxuriantes, assorti de geta, les sandales traditionnelles,- qu'elle traversa en hâte les couloirs de Rim en direction du club de cuisine.

Elle s'y était inscrite en entrant à Astrea, attirée par la diversité des recettes présentées et par le désir de devenir une excellente cuisinière afin de combler son futur partenaire et y avait passé deux ans avant de s'orienter dès son entrée en troisième année vers le club de cosplay qui recrutait activement des nouveaux membres. Bien sûr gênée d'abandonner son précédent club- et ne souhaitant pas faire deux activités différentes au risque d'être moins performante-, les plus âgées s'étaient empressées de la rassurer, lui assurant que leur porte lui serait toujours ouverte, à condition qu'elle vienne à chaque visite vêtue d'un des costumes qu'elle avait réalisé; tandis que les plus jeunes se lamentaient de voir partir leur "onee-sama". Elle ne gardait de ses deux années où elle portait le tablier que des bons souvenirs: l'ambiance y était bon-enfant, conviviale, chacune partageait ses secrets de cuisson, de dressage et toutes se régalaient au final des différents plats qui avaient été réalisé durant le temps réservé à l'activité du club.

Portée par ses souvenirs joyeux, auxquels ceux qu'elle s'était fait au club de couture n'avaient rien à envier, Hikari réalisa soudain qu'elle était arrivée à destination et ouvrant vivement la porte, un grand sourire aux lèvres, elle signala son arrivée par un "bonjour à toutes" qui attira sur elle tous les regards. Puis rapidement, de nombreuses demoiselles vinrent l'entourer en piaillant, principalement des élèves de son âge ou de quelques années son aîné, la détaillant de tous les côtés, lui posant mille et une questions à laquelle la Rimoise n'avait même pas le temps de répondre, vantant la qualité des habits qu'elle portait; bref un véritable brouhaha s'était élevé en quelques secondes dans le club de cuisine sous le regard un peu étonné des nouveaux membres, qui devaient se demander qui pouvait bien être cette brunette en kimono pour s'attirer de la sorte toute l'attention:

"-Hikari-onee-chan, comment vas tu?

-Quelle magnifique soie à motifs...et ce beau kimono! Je veux le même! Tu m'en feras un dis?! Oh dis oui onee-chan!

-Est-ce qu'on te manque un peu?

-Les filles du club de couture sont gentilles j'espère?!"

A toutes ses questions -du moins celles qu'elle arrivait à entendre clairement, la brunette hochait la tète, son visage illuminé par un rictus sympathique avant d'expliquer la raison de sa venue, sans trop entrer dans les détails cependant:

"-J'ai eu un petit coup de blues et...comme vous m'aviez dit que votre porte m'était ouverte, je suis venue. J'ai besoin de sucre je crois..."

Tirant la langue en avouant à demi mot sa gourmandise, provoquant quelques rires dans le petit groupe venu l'accueillir, la demoiselle se laissa guider jusqu'à la grande table qui trônait au fond de la pièce -laquelle servait à poser les plats pour la dégustation- et s'y assis sans plus attendre, observant avec attention les jeunes filles en plein travail, curieuse de savoir ce qu'elles pouvaient bien préparer. L'une d'entre elles attira pourtant son attention, bien qu'elle soit de dos et n'ait pour ainsi dire rien faire pour qu'Hikari la remarque: ses longs cheveux blonds, couleur paille, retenus en deux hautes couettes l'avaient fait pour elle. Affairée à la tache, la première année -vu sa taille et le fait qu'elle soit inconnue à la Rimoise, elle devait sans nul doute en être une- semblait absorbée au point qu'elle ne remarqua pas que son coude s'était enfoncé dans le paquet de farine avant de l'expulser hors de son plan de travail. Il se serait sans doute écraser contre le sol, recrachant tout la poudre de blé blanche qu'il contenait, si la troisième année n'avait pas accouru pour le rattraper au vol, décidément tout à fait à l'aise avec ses hautes geta.
Se redressant, la farine dans ses mains, elle la reposa loin du bord avant d'adresser à sa cadette un grand sourire:

"-Heureusement que je l'ai rattrapé sinon tu aurais été couverte de farine. Tu veux un conseil? Il vaut mieux que tu poses la farine au milieu de la table et, si tu manques de place, mets plutôt les ingrédients durs comme le chocolat ou le beurre vers le bord."

Accentuant son sourire charmant, ne souhaitant pas se montrer hautaine et méprisante aux yeux de son interlocutrice -qui lui paraissait riquiqui à cause des hautes semelles de ses sandales- elle lui demanda avec curiosité:

"-Dis moi, qu'est ce que tu prépares de bon? Un gâteau ou un plat salé?"